Chronique d’Arnaud de Brosses, Associé d’Asafo & Co. (Paris), de Karamoko Fadiga, Associé d’Asafo & Co. (Abidjan) et de Patrick Larrivé, Associé d’Asafo & Co. (Casablanca), publié par Les Echos, le 29 avril 2020.
La plupart des Etats africains ont pris des mesures exceptionnelles pour lutter contre le Covid-19. Ces mesures, cumulées à la pandémie, engendrent, pour les populations et de nombreuses entreprises, des difficultés économiques majeures. Pour y face, les Etats du G20, les institutions internationales, les Etats africains et leur système bancaire adoptent des solutions sans précédent.
Dans ce contexte inédit, beaucoup de sociétés se trouvent confrontées soit à l’impossibilité d’exécuter certaines de leurs obligations contractuelles, soit à l’inexécution d’obligations de leurs cocontractants. Le plus souvent leurs contrats ne traitent pas du cas de la pandémie, notamment leurs polices d’assurance où ces clauses restent exceptionnelles.
Par conséquent, les entreprises doivent attentivement suivre les différentes clauses de leurs contrats, afin de vérifier, d’une part, qu’elles peuvent, si nécessaire, invoquer, si elles existent, certaines clauses contractuelles notamment, celles relatives à la force majeure, à l’inexécution d’obligations, à l’imprévision ou à la révision de certaines conditions financières ou autres et, d’autre part, qu’elles respectent tous les délais et procédures pour actionner ces clauses.
Ce suivi est beaucoup plus complexe pour les sociétés qui interviennent en Afrique, car elles sont confrontées à l’application de différents droits découlant des systèmes de droit civil et de common law. Elles doivent maitriser et suivre régulièrement l’évolution des différentes législations applicables aux contrats, qui peuvent être le droit du pays africain concerné (qui inclut pour de nombreux pays les dispositions du droit de l’OHADA), mais également les droits d’autres juridictions tels que le droit français ou le droit anglais. Cette maîtrise du droit applicable est importante pour les contrats en cours, et le choix de la loi contractuelle est essentiel pour la conclusion de nouveaux contrats.
Par ailleurs, ces entreprises doivent également tenir compte d’autres implications du Covid-19, en particulier, en matière de distribution de dividendes. En effet, il est probable que, comme en France, il puisse être considéré, dans différents pays africains, qu’une distribution très élevée de dividendes, si elle est susceptible de mettre en péril l’avenir de la société distributrice, soit considérée, comme étant contraire à l’intérêt social de la société, notamment si elle est financée par de l’emprunt. Une analyse scrupuleuse de la capacité distributive dans le contexte de la crise actuelle s’avèrera donc nécessaire avant toute décision de distribution.
En définitive, ce ne sont pas tant les systèmes juridiques, qu’ils soient de droit civil ou de common law, qui ne sont pas adaptés pour traiter la situation liée au Covid-19, que la pratique juridique elle-même : la rédaction des contrats est trop souvent mécanique et standardisée, pour ne pas dire paresseuse, et ce, pour au moins deux raisons : premièrement, le recours à des contrats type, toujours inadaptés à des situations d’exceptions, souvent inadéquats dans des circonstances qui, sans être exceptionnelles, ne sont que particulières, permet de réduire les coûts ; deuxièmement, la standardisation est vendue comme un instrument de sécurisation juridique des contrats, certitude pas complètement fausse en temps normal, mais entièrement chamboulée par gros temps ; et l’on aurait peut-être tort de penser que la grave situation que nous vivons restera, à l’avenir, du domaine de l’exception.
Il est important pour les entreprises et leurs conseils d’être le plus présent possible sur le continent africain, afin d’anticiper ces changements et de suivre les évolutions des législations.